- kamadatsiottie
Kazatchka
Kazatchka !
Tu manies la chachka
Avec plus de dextérité
Que le barbier
Ses lames de rasoir affûtées !
Tu défends férocement ton pays,
Ta patrie,
Ta Douma,
Ta doma,
Ta datcha ;
De l’Oural au Kamtchatka
Et du Don au Dniepr.
Mais rappelle-toi dévouchka :
Ton véritable fleuve, c’est Amour !
Pense aux victimes de la guerre
Aux enfants soudain devenus orphelins
Aux babouchki et aux papouchki
Laissés derrière
A pleurer leurs filles et leurs fils
Morts au combat
Devant une photo et une tombe
Portant une même croix
Et presque les mêmes mots
En cyrillique
Qui veulent dire « patrie »
« Reconnaissance éternelle »
Et « amères regrets »…
Kazatchka !
Tu manies le sabre au clair
Avec plus de facilité
Que le coupe-coupe
Dans la forêt vierge
Des Bantous
Pour te frayer
Un chemin à travers la jungle de bananiers.
Fille et femme ayant grandi
Dans les jupons d’une
République bananière
En des temps plus austères,
Ton pays hélas est en guerre !
À cause d’un dictateur obscur et autoritaire
À l’ambition galopante
Comme les chevaux donskoï qui te portent
Aux quatre vents
Et les cheveux dans l’air
Du Levant au Couchant
Ou bien
De l’Occident à l’Orient
Sur tous les fronts
Et sur le tien
Pour laver l’affront
Et assouvir ta colère.
Mais Kazatchka !
Rappelle-toi
Tu es slave toi aussi
Et tu as les mêmes origines
Que celles que tu combats,
C’est ton berceau natal
Ton humanité :
La Rus’ de Kiev !
Autour de la grande Novgorod
La légendaire cité d’Or du prince Riourik
D’Oleg le Sage
De Vladimir le Grand
Et de Iaroslav le Sage !
Et tu te dis sage ?
Celle que tu tiens en joue
Dans le viseur
Au bout de ton fusil
De ton AK
Ou de ton Uzi
C’est
Ta sœur
Ta frangine
Ta cousine
Ta voisine
Ta copine
Ton amie !
Alors vraiment :
Ton ennemie ?
Le plus grand ennemi, en vérité
C’est celui qui t’a conduite ici
Dans une guerre qui n’est pas la tienne…
Kazatchka !
Tu es belle dans ta maîtrise
De la terreur
Le sourire figé
Le buste droit
La tête altière
Le regard fier
Mais hélas, la pensée sévère.
Tu penses ta cause juste
Et libérer ton pays
De la gangrène fasciste,
Comme on dit toujours au foot
La meilleure défense c’est l’attaque !
Mais personne ne peut défendre
L’indéfendable…
Tu ne trompes personne,
Et ce match-ci
Ne se passe pas sur un carré vert.
Alors tu répands la mort
Tu répands le sang
Comme dans les steppes
D’Ukraine
Les immenses champs de blés
Ensanglantés.
Tu ressors les drapeaux noirs
et les vieux slogans haineux
Rappelant l’Holodomor
Et cette immonde mise à mort…
Alors qu’en vérité
C’est seulement de l’amour
Que tu devrais donner !
Et ouvrir grand tes bras !
Kazatchka ! Kazatchka !
Blanche
Rouge
Russe
Ou même
Ukrainienne,
Rappelle-toi
Il y a peu encore
Tu combattais au corps-à-corps
Sous une même bannière
Solidaire et toujours main dans la main
Avec ta camarade de classe
De caserne
Ou bien de jeu,
Ta petite sœur de prédilection
Le fusil à l’épaule
Épaule contre épaule
Toujours prompt à tirer
Contre Napoléon,
Contre Hitler
Le fascisme
Et le nazisme
Puis enfin le capitalisme ;
Belle et rebelle
Kazatchka !
Les joues empourprées
Les cheveux attachés !
Mais aujourd’hui tu as la beauté du Mal !
Et me voilà tiraillé
Entre deux aspirations inégales
Deux parties de mon cœur
Qui me déchirent de l’intérieur
Le ventricule droit
Le ventricule gauche
Ou bien encore l’air douloureux de mes poumons
Le poumon qui se bat pour ses droits
Et le poumon qui fauche,
Comme jadis le tirailleur sénégalais
Se battait enrôlé de force pour son pays
En lui donnant injustement sa vie.
Adroit ou gauche,
Gaucho maladroit,
Me voilà Che Guevara
Planté devant toi
Pour te dire d’arrêter cette guerre sororicide-là :
Toutes Femen d’un même pays !
Rappelle-toi
Anna Hutsol !
Oksana Chatchko !
Ou Oleksandra
Et Inna Chevtchenko !
Toutes féroces militantes
Dressées pour une cause juste
Infatigables guerrières
A l’appétit libertaire inassouvi
Ayant soif de liberté
Et se battant pour leurs droits :
Toutes Kazatchka
D’un seul et même pays !
Comme jadis l’International ouvrière scandait :
« Prolétaires de tous les pays
Unissez-vous ! »
Kazatchka !
Rappelle-toi
Tout ce qui te compose :
Les tourbillons de l’histoire,
L’Empire,
Le Communisme,
L’âme slave
Torturée et mélancolique,
Ta culture,
Ta littérature,
Ta Poésie !
Kazatchka !
Rappelle-toi (maya sistra) Моя сестра,
Léon Tolstoï
Nicolas Gogol
Alexandre Pouchkine
Anton Tchekhov
Fiodor Dostoïevski
Vassyl Stous
Et Taras Chevtchenko !
Maintenant Kazatchka,
Dis-moi,
Te bats-tu vraiment pour tes bons droits ?
Ou es-tu manipulée
Par ton aveuglement,
Par le Régime
Ou bien par la Croix ?
Je t’en prie mon Dieu
Ouvre enfin les yeux
Et que cesse cette boucherie-là !
Guerre insensée
Menée par des esprits insensibles
Qui poussent à se dresser l’une contre l’autre
Mes propres sœurs
Unies dans leur malheur :
Fières guerrières Kazatchka
Cosaques de la Volga,
Du Don et des plaines de l’Oural
Contre les nobles et féroces Kazatchka
Ces invincibles Zaporogues du Dniepr…
XK (Limoges, le 13.03.23)
